L'affaire N'Gustro by Jean-Patrick Manchette

L'affaire N'Gustro by Jean-Patrick Manchette

Auteur:Jean-Patrick Manchette [Manchette, Jean-Patrick]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier, Littérature française
Éditeur: Gallimard - Série Noire
Publié: 2012-11-28T23:00:00+00:00


18

— C

hienneries, tout, chienneries, énonce le maréchal Oufiri en s’agrippant au bord de son bureau et en tapant dans le cendrier en cristal de Venise le fourneau de sa pipe en terre.

Le tuyau de la pipe se casse en deux. Oufiri contemple la cassure avec une stupéfaction rieuse. Il pouffe et écarte les paumes dans un geste de monseigneur ahuri.

— Colonel, mon ami, pourquoi faut-il que nous ayons un corps ?

Oufiri a avalé cul sec une demi-bouteille de whisky irlandais.

L’alcool lui a fouetté les extrémités. Il se sent lourd et sagace.

— Ce serait trop facile, dit Jumbo, assis dans un fauteuil en face du bureau. Sans corps, ce serait trop facile. Sans corps, pas de besoins charnels. Sans besoins charnels, pas d’États, pas de lois. Pas de limites.

— Ce serait chouette, dit rêveusement le ministre.

— Pas de conscience, dit gravement Jumbo.

— Quelle idée bandante ! s’écrie le maréchal.

— La conscience est l’acte d’outrepasser le limité, cite le colonel.

Oufiri s’effondre dans un fauteuil avec un bruit sourd.

— Je ne comprends pas pourquoi tu n’es pas dans l’Opposition.

Jumbo montre ses dents limées car il sourit.

— Plus tard, peut-être.

— Peau de balle, dit grossièrement son supérieur. Tu t’es fait flic et tortionnaire. Tu ne te déferas plus du régime. Ton nom est honni.

Sa langue trébuche sur les consonnes de la dernière proposition.

Jumbo hausse les épaules. Il entretient des intelligences dans l’Opposition. Il sait qu’il n’est pas aimé, mais il sait aussi qu’il est utile, à cause du pouvoir qu’il a sur des corps armés, qui passeraient sur un signe de sa part, de tel côté, de tel autre.

Oufiri ramasse dans le cendrier le fourneau de pipe intact, d’où monte une dernière volute de lourde fumée aromatique. Il jette l’objet dans Pâtre vide, où il se fracasse.

— Tu penses trop court, colonel. Je ne te parle pas d’un changement d’hommes. Je parle de révolution.

— Même chose.

— Pauvre taré. J’ai vu, au Congo.

Oufiri est allé au Congo, pendant les événements. Il s’est trouvé paumé en pleine insurrection, avec des observateurs de l’ONU. Il en est resté marqué.

— Des primitifs, dit Jumbo avec mépris.

— Ils sont pas allés en Sorbonne, ça c’est sûr, ironise Oufiri.

— Qu’est-ce que t’as vu ? Merde, mon excellent ami, qu’est-ce que t’as vu ?

Jumbo est soudainement hors de lui. Il en est ainsi des hommes qui ont une philosophie politique. Ils ne peuvent manquer de se trouver hors d’eux de temps en temps.

— Les Simbas, dit le maréchal. Mon Dieu, ils étaient superbement membrés. Josyane aurait aimé ça. Ils tuaient tout ce qui portait un uniforme. J’ai dû jeter mon stylo, subrepticement. Il y avait une unité d’adolescents de neuf à quatorze ans, avec des armes automatiques, qui fusillaient les possesseurs de stylos Parker. Ils portaient autour du cou des rubans de machine à écrire. Ils occupaient un hôtel très chic. Des bonnes sœurs prisonnières à l’intérieur. Ils n’arrêtaient pas de les tringler, parait-il. Us ont chié partout dans l’hôtel.

— C’est ce que je dis. Des sales Nègres primitifs.

— Il y avait un Blanc avec.



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